La réduction de l’impact environnemental des productions vinicoles est un sujet qui préoccupe actuellement de nombreux vignerons. Dans cet article, nous allons vous présenter les stratégies d’atténuation en viticulture et en œnologie que nous avons observées sur le terrain. Mais avant d’attaquer le vif du sujet, un petit rappel s’impose ! L’atténuation doit bien être différenciée de l’adaptation. Derrière le terme atténuation se cachent les stratégies qui ont pour objectif d’améliorer l’efficience environnementale d’une structure afin de limiter son empreinte carbone et de contribuer le moins possible à l’aggravation des changements climatiques. L’adaptation, quant à elle, vise à modifier ses pratiques agricoles pour rendre son système de production plus résilient face aux dérèglements climatiques sans obligatoirement réduire son impact environnemental.
Selon une étude de l’ADEME, 46% des émissions de CO2 associées à la production d’une bouteille de vin sont liées à la fabrication et au transport de la bouteille en verre. Face à ce constat, l’association Ecoscience Provence a souhaité remettre en place le système de consigne de bouteille au sein de la filière vinicole provençale.
Augmenter la durée de vie d’une bouteille en verre et réduire les transports associés à sa production et à sa livraison permettraient d’avoir un impact considérable sur l’empreinte carbone du secteur vinicole. La Consigne de Provence, structure créée par Ecoscience, joue le rôle d’intermédiaire entre les domaines viticoles pratiquant la consigne et les laveries de bouteille. Cet organisme se charge de transporter les bouteilles, de tester l’efficacité des lavages et de les ramener ensuite chez les vignerons.
Selon Bastien Vigneron, chef de projet à Ecoscience, la consigne pourrait permettre de réutiliser 10 fois une même bouteille en verre. Cela implique une légère adaptation pour le vigneron. Les étiquettes doivent être collées avec une colle spécifique qui se détache facilement au lavage et l'usage de bouteilles épaisses est recommandé pour qu’elles supportent les chocs lors du transport et du lavage. Enfin, le vigneron doit également expliquer sa démarche aux consommateurs, la consigne peut ainsi permettre de développer une relation de fidélité et de confiance entre les vignerons et les consommateurs.
La conception des caves est également une stratégie d’atténuation que nous avons pu observer chez différents vignerons au cours de notre périple. Choisir l’emplacement, l’exposition, les matériaux de construction et d’isolation ou encore la structure des caves participe à l’amélioration de l’efficience environnementale de sa production en réduisant notamment les consommations énergétiques.
Robert Eden, vigneron propriétaire du domaine Château Maris dans le Minervois (Languedoc-Roussillon) a construit son chai en briques de chanvre (valorisation de la paille de chanvre qui est normalement considérée comme un déchet), empilées sur une structure en bois, le tout recouvert de chaux. En plus d’être biosourcée, la brique de chanvre a l’avantage de réguler naturellement la température de la cave. Cela lui permet d’avoir peu de variations de température dans son chai sans avoir à utiliser de climatisation. Selon lui, cela n’a pas uniquement un intérêt environnemental et économique, c’est aussi bon pour ses contenants en bois :
“C’est important pour nous d’avoir une bonne qualité de l’air naturellement pour faire nos vinifications et nos élevages. [...] Le bois va sécher et va absorber plus de vin si la qualité de l’air est modifiée par une climatisation. Il s’agit donc de rétablir un équilibre naturel entre le bois, le vin et l’air du chai. ” nous explique Robert Eden.
Nous avons aussi rencontré Stéphane Saurel, vigneron propriétaire du domaine “les Terrassess d’Eole” dans l’appellation Ventoux. Il recherche et développe constamment des innovations pour améliorer l’efficience environnementale de son domaine. Son objectif est clair, “avoir un vin avec le coût énergétique le plus bas du marché” affirme-t-il face à notre caméra. Il a décidé d’enterrer son chai pour ne pas climatiser le bâtiment et pour bénéficier de la gravité afin de ne plus utiliser de pompe à vendange pour l’encuvage.
Ensuite, il a fait un forage à 100 mètres de profondeur pour bénéficier de la géothermie (à cette profondeur, la température est constante : 15°C) et il a installé un récupérateur de chaleur afin d’utiliser l'énergie thermique produite lors de la fermentation pendant les vinifications. Il récupère donc des frigories grâce à la géothermie pour refroidir ses blancs et des calories grâce à la vinothermie pour maintenir les rouges à température.
"Grâce à ces installations, j'ai réduit les consommations énergétiques de ma cave de 30%", l'objectif est donc réussi pour Stéphane Saurel.
Et ce n’est pas tout ! Il a créé un outil qui lui permet d’avoir trois fonctions en un seul passage de tracteur. En effet, il peut écimer, passer l’intercep et travailler le sol de l’inter-rang (charrue ou herse rotative ou tondeuse) en même temps. L’intérêt d’un tel outil ? Utiliser trois fois moins de carburant et tripler l’efficacité de son temps de travail sur le tracteur.
Bruno Maillard, directeur général des Grands Vignobles du Littoral, propriétés du groupe Vranken Pommery, mise sur la réduction des traitements phytosanitaires pour atténuer l'impact environnemental de se production. Nous l’avons rencontré au Château la Gordonne où ils ont planté des variétés résistantes aux maladies dans le but de réduire considérablement les passages en tracteur pour traiter et les volumes de produits phytosanitaires.
Ils ont également rénover l’isolation de leur chai pour réduire leurs consommations énergétiques.
Enfin, ils ont optimisé la logistique de leurs exportations aux États Unis en utilisant le vrac. Le vin arrive aux États Unis en vrac et il est ensuite mis en bouteille et conditionné dans une de leurs filiales sur place. Ils ont ainsi divisé par deux l’empreinte carbone de leurs échanges commerciaux par voie maritime avec les États Unis.
"Ce sont des petites solutions individuelles, chacun dans son domaine, qui permettront d'éviter des changements climatiques et des cataclysmes qui ont des conséquences dramatiques sur la filière" affirme Bruno Maillard.
L’atténuation prend donc différentes formes en fonction des systèmes de production, des types de structure et de la philosophie des vignerons. La diversité des stratégies rencontrées nous montre qu’il est possible d’agir, à différentes échelles et au cours des différentes étapes de la production viti-vinicole ; le but étant toujours de retarder l’aggravation des changements climatiques. Certes, il est clair qu’il faudrait que la mobilisation soit générale et que l’ensemble de la filière adopte ce genre de pratiques pour obtenir de réels effets systémiques. Cependant, la démarche individuelle prend son sens sur le long terme, l’objectif principal est avant tout d’essayer d’assurer la pérennité des vignobles pour les générations futures.
Dans cette logique, un mode de viticulture a particulièrement retenu notre attention pour son intérêt sur le long terme : la viti-foresterie. En dehors des intérêts agronomiques que nous aborderons dans un prochain article, associer la culture arboricole à la viticulture est une stratégie d’atténuation à part entière où les arbres vont fixer du carbone et ainsi contribuer à la réduction de l’empreinte carbone du domaine. Nous clôturons cet article avec une photo de parcelle du domaine Gauby à Calce (Pyrénées Orientales) où les arbres côtoient les vignes depuis plus de vingt ans.
"L'arbre c'est la vie" nous affirme Gérard Gauby, convaincu que la viti-foresterie est une stratégie d'atténuation et d'adaptation durable pour assurer la pérennité des vignobles face aux changements climatiques.
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