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L'encépagement autochtone méditerranéen

Dernière mise à jour : 29 juin 2020

Notre périple se poursuit sans accroc, nous avons laissé les vignobles du Languedoc dans notre rétroviseur pour laisser place à la grandeur des paysages corses. Déjà 3 semaines passées aux côtés de vignerons passionnants aux profils très différents mais avec comme point commun, un engagement indéfectible pour assurer la durabilité de leur production. La semaine dernière, nous vous parlions d’enherbement dans les vignes, réelle couche protectrice du sol contre l’érosion et la sécheresse. Aujourd’hui nous nous attaquons au matériel végétal et au choix des cépages.


L’encépagement est une des composantes fondamentales de l’élaboration des vins. La composition biochimique et le profil aromatique des raisins sont des déterminants majeurs de la typicité des vins. Une multitude de facteurs entrent en compte dans le choix de l'encépagement : l'adaptation aux conditions du terroir (sol, climat, tradition), le type de vin et de consommateur, le respect d'appellations contrôlées, etc. De nombreux vignerons rencontrés ont placé la problématique climatique au centre de leur réflexion sur l’encépagement.


Jean Charles Abbatucci est une figure emblématique des vignerons corses. Il produit des vins en biodynamie depuis plus de 20 ans en utilisant uniquement des cépages locaux. Ne lui parlez surtout pas de Syrah et de Grenache, encore moins de Merlot et de Cabernet, vous ne trouverez que des cépages autochtones de l'île de Beauté.


Et la diversité est au rendez-vous, on retrouve pas moins de 21 cépages plantés dans ses parcelles situées à 1 heure d’Ajaccio. Du Paga Debiti, au Barbarossa en passant par le Carcaiulo Nero et l'Aleatico, JC Abbatucci dispose d’une véritable collection ampélographique sur son domaine.

"Ce sont des cépages adaptés au terroir qui ne vont pas être impactés par les phénomènes météorologiques extrêmes. Ils ont l'habitude d'avoir des périodes de canicule mais aussi des pluies diluviennes." affirme-t-il devant notre objectif.

Planter des vieux cépages autochtones permet d’améliorer la résilience de sa production, ce sont des variétés qui sont historiquement adaptées à la rigueur du climat local. Ces cépages vont donc mieux supporter les événements météorologiques extrêmes qui sont de plus en plus fréquents avec les changements climatiques.


De plus, certains de ces cépages locaux n’étaient plus utilisés car ils ne mûrissaient pas ou très tardivement.

Yves Canarelli (Clos Canarelli) nous explique : "Avec le climat actuel, ces cépages tardifs retrouvent leur intérêt en arrivant désormais à maturité. Ils permettent de retrouver de la fraîcheur et de préserver l’équilibre acidité / alcool dans les vins."

Petit rappel, les fortes chaleurs de plus en plus intenses accélèrent la maturation physiologique du raisin et l’équilibre degré/acidité est ainsi perturbé. Les sucres se concentrent dans les baies et les degrés alcooliques des vins augmentent en conséquence. L’acidité, composante indispensable de la qualité organoleptique des vins se dégrade dans les baies avec les fortes chaleurs. L’intérêt des cépages tardifs et de rallonger la maturation et d’éviter ces déséquilibres dans les vins.




Le choix du porte-greffe, partie enterrée du pied de vigne qui va servir de support au cépage, est aussi un levier d’action important pour s’adapter aux changements climatiques. Jean Pierre Venture (Mas de la Seranne), vigneron dans l’AOC les Terrasses du Larzac, a changé ses porte-greffes suite aux plaintes de clients trouvant ses vins trop riches en alcool. Il travaille avec Jean-Michel Boursiquot, figure de l’ampélographie, sur un porte-greffe qui retarde la maturité du raisin: le 41B. Il plante toujours du Cinsaut et du grenache mais le fait d’avoir changé de porte-greffe lui a permis de réduire le taux d’alcool de ses vins, leur redonnant ainsi équilibre et fraîcheur.


JP Venture a également décidé de planter des vieux cépages Languedociens, certains presque oubliés : le Morastel, le Rivairenc, et le Terret. Les cépages tardifs comme la Counoise, le Bourboulenc ou la Clairette ont un développement végétatif plus lent qui vont permettre de contrebalancer les effets des températures élevées sur la maturité des raisins.




Didier Barral du domaine Léon Barral (Faugères) plante également du Terret pour ses blancs. Selon lui, le problème n’est pas l’alcool mais le manque d’acidité. L’acidité prononcée du Terret, souvent critiquée, va ainsi permettre de contrer le fort taux d’alcool de ses vins pour qu’ils restent équilibrés.

Le Cinsaut est également un cépage méditerranéen adopté par de nombreux vignerons du Languedoc pour sa tolérance aux fortes températures. Nathalie et François Caumette du domaine de l’Ancienne Mercerie (Faugères) l’utilisent pour ses rendements importants et pour sa capacité à mûrir lentement.


Après avoir entendu et observé les bienfaits des cépages autochtones, on peut se poser la question suivante : pourquoi la plantation de cépages autochtones n'est-elle pas autant répandue ? Nos différentes rencontres ont révélé la problématique des cahiers des charges des appellations d’origine protégée souvent rigides et parfois le manque de soutien de l’INAO, l’Institut National de l'Origine et de la Qualité.


Pour produire un vin avec la mention AOP/IGP, le vigneron doit non seulement avoir ses parcelles dans une zone géographique délimitée, mais il doit aussi respecter un ensemble de règles portant sur la viticulture et sur la vinification. L’encépagement fait partie des critères imposés pour disposer de la mention AOP/IGP. Certains cépages autochtones ont été abandonnés à la création des appellations pour laisser place à des cépages plus productifs et aux profils aromatiques parfois plus complexes. De nombreux vignerons souhaiteraient donc planter à nouveau ces cépages anciens pour leur résistance aux conditions climatiques mais ils se retrouvent face à un vrai dilemme : planter les cépages autochtones et perdre l’AOP/IGP, caractère différenciateur et gage de qualité pour les consommateurs, ou respecter l’encépagement de l’AOP/IGP mais subir plus difficilement les aléas climatiques avec des cépages non adaptés ? Cette thématique est vaste, nous lui dédierons un article afin de l’approfondir.


L’encépagement apparaît donc comme un véritable levier de la résilience d’un domaine face aux dérèglements climatiques. Mais ce n’est pas le seul ! La problématique des changements climatiques est globale, les stratégies d'adaptation doivent donc être être systémiques pour être durables. La conduite du vignoble, les pratiques viti-vinicoles ou encore l’organisation des exploitations doivent être progressivement repensées pour supporter les effets des changements climatiques sur le long terme.

Prochainement, nous aborderons les stratégies organisationnelles mises en place par les vignerons rencontrés face aux dérèglements climatiques. Au programme : le travail de nuit, le refroidissement des raisins après vendange, et la conception des chais.


A très vite !

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